Fantastique
Selon le théoricien de la littérature Tzvetan Todorov, le fantastique ne serait présent que dans l’hésitation entre l'acceptation du surnaturel en tant que tel et une tentative d’explication rationnelle. En cela, le fantastique est situé entre les genres du merveilleux (et son incarnation contemporaine, la fantasy), dans lequel le surnaturel est accepté et justifié car le cadre est imaginaire et irréaliste, et de l’étrange, dans lequel les faits apparemment surnaturels sont expliqués et acceptés comme normaux. Contrairement à ces deux genres, dans le fantastique, le héros, comme le lecteur, a presque systématiquement une réaction de refus des faits surnaturels qui surviennent. Cette réaction de refus peut être mêlée de doute, de rejet et/ou de peur.
Cette définition plaçant le fantastique à la frontière de l'étrange et du merveilleux est généralement acceptée, mais a fait l'objet de nombreuses controverses, telle que celle menée par Stanislas Lem.
Le fantastique est très souvent lié à une atmosphère particulière, une sorte de crispation due à la rencontre de l’impossible. La peur est souvent présente, que ce soit chez le héros ou dans une volonté de l’auteur de provoquer l’angoisse chez le lecteur ; néanmoins ce n’est pas une condition sine qua non du fantastique.
Par extension, le fantastique indique également un genre cinématographique dont la signification est sensiblement la même (voir article cinéma fantastique).
Genres apparentés et sous-genresOn considère souvent le fantastique comme très proche de la science-fiction. Néanmoins, d'importantes différences les distinguent : la science-fiction ne relève pas du surnaturel, et se veut rationnelle. Ainsi, La Machine à explorer le temps, de H. G. Wells, est un roman de science-fiction, car le héros voyage dans le temps grâce à une machine conçue à cet effet, autrement dit grâce à un procédé technologique, certes inconnu dans l'état actuel des connaissances humaines, mais qui, étant présenté comme technologique, ne peut être qualifié de surnaturel.
En français, une erreur fréquente consiste à appeler « fantastiques » tous les textes appartenant au genre anglo-saxon de la fantasy, comme ceux de J. R. R. Tolkien, alors qu’ils appartiennent en réalité au domaine du merveilleux. Cette erreur est due à l’absence de terme approprié permettant de nommer la fantasy en français.
Le fantastique est également apparenté au réalisme magique, genre propre à la littérature latino-américaine et fondé sur l'insertion d'éléments surnaturels dans un récit réaliste. Mais les faits surnaturels y sont considérés comme normaux, ce qui fait du réalisme magique une branche du merveilleux et non du fantastique.
Citons enfin les genres suivants :
- Horreur
- Terreur moderne
- Ghost stories
- Fantasy urbaine
- L 'Absurde
Panorama de la littérature fantastique Les origines du genre Les récits faisant appel au surnaturel abondent dans la littérature mondiale, et ceci depuis des temps immémoriaux, sous forme de contes comme les Les Mille et Une Nuits ou les contes de fées, ou rejoignent l’épopée comme dans les légendes arthuriennes. Le conte merveilleux traditionnel fournira à la littérature fantastique la plupart de ses thèmes.
Parmi les précurseurs de la littérature fantastique moderne, on peut citer Voltaire ou Jonathan Swift qui cachent la satire derrière l’irrationnel.
Caspar David FriedrichMais la véritable source du genre fantastique est le roman gothique anglais de la fin du XVIIIe siècle. Outre l'apparition des thèmes propres au fantastique (les fantômes, le Diable, les vampires) ces romans caractérisés par une atmosphère d'horreur plus prononcée introduisent l'ambiguïté caractéristique du genre. Parmi les œuvres les plus représentatives, citons Vathek (1786), conte à la manière orientale écrit en français par William Beckford et Le Moine de Matthew Gregory Lewis. On peut également rattacher à ce genre le Manuscrit trouvé à Saragosse du polonais Jean Potocki, également rédigé en français.
L'autre précurseur de la littérature fantastique est le français Jacques Cazotte avec son court roman Le Diable amoureux (1772). L'aspect surnaturel y est moins développé que dans les romans gothiques, mais l'hésitation entre explication rationnelle et irrationnelle y est plus nette. Cazotte aura une influence directe sur Nodier et ses successeurs français.
Le fantastique allemand du début du XIXe E.T.A. HoffmannC'est en Allemagne que naîtra vraiment la littérature fantastique proprement dite, avec Adelbert von Chamisso puis Achim von Arnim et Hoffmann.
Le fantastique de Hoffmann se caractérise par l'exaltation, le chaos, et la frénésie. Le roman Les Elixirs du diable, qui revendique la filiation du Moine de Lewis, accumule de façon souvent incohérente les épisodes de natures très différentes : histoire d'amour, méditations esthétiques ou politiques, aventures picaresques, épopée familiale, extases mystiques, etc. Le thème de la folie et de la solitude est central dans l'œuvre de Hoffmann comme dans celle de Chamisso.
Hoffmann a eu une influence universelle et pratiquement continue sur le genre. Ses contes forment un véritable répertoire du fantastique, décliné par la suite par d'autres auteurs et dans d'autres arts (opéra, ballet, cinéma).
Les conteurs français Guy de MaupassantEn 1772, Jacques Cazotte publie Le Diable amoureux, l'un des premiers livres qui se rapportent au fantastique. Dès les années 1830 les contes d'Hoffmann sont traduits en français et rencontrent un succès spectaculaire. Nodier est l'un des premiers à produire des contes fantastiques en France, suivi de Balzac, Prosper Mérimée, Théophile Gautier, puis Guy de Maupassant. La finesse de l'analyse psychologique prend le pas sur la folie débridée et morbide des débuts du fantastique. Les œuvres se veulent aussi mieux construites et plus homogènes. Ces auteurs adoptent volontiers un style neutre et accentuent les éléments réalistes, de façon à favoriser l'identification au narrateur.
La mode du conte fantastique reste vigoureuse en France jusqu'à la fin du XIXe siècle. Dans les années 1880-1900, les nombreuses revues littéraires liées aux symbolistes et aux décadents publient régulièrement des contes fantastiques. Des auteurs se spécialisent dans ce genre : Jean Lorrain, Mathias Villiers de l'Isle-Adam, Jules Barbey d'Aurevilly, etc. Le conte se fait plus maniéré. On recherche la perfection stylistique. Les descriptions se font riches, l'exotisme et l'érotisme deviennent des éléments importants. La nouvelle traduction des Les Mille et Une Nuits par le docteur Joseph-Charles Mardrus remet l'Orient à la mode. Les histoires se font aussi plus scabreuses et plus crues et invoquent volontiers l'héritage de Sade. Enfin, le conte fantastique peut être une occasion de faire de la critique sociale, souvent dirigée contre le matérialisme bourgeois : c'est le cas pour Villiers de l'Isle-Adam ou pour Octave Mirbeau.
L'Angleterre victorienneParadoxalement, l'Angleterre victorienne ne suscita que peu d'auteurs fantastiques à proprement parler, les subtiles ambiguïtés propres au genre ne trouvant guère d'écho dans la tradition littéraire anglaise. Ainsi des nouvelles de Thomas de Quincey, qui s'inscrivent plus nettement dans la tradition du roman gothique que dans celle du fantastique.
Signalons toutefois l'Irlandais Sheridan Le Fanu, auteur notamment du roman Carmilla. Ce classique du récit de vampirisme inspira le célèbre Dracula de son compatriote Bram Stoker. Enfin, il convient de noter qu'Oscar Wilde parodia le genre fantastique dans sa nouvelle Le Fantôme de Canterville.
En revanche, cette période vit la naissance de nouveaux genres de littérature populaire apparentés au fantastique : le roman policier avec Wilkie Collins, la science-fiction avec H. G. Wells et Mary Shelley. Bien plus tard, c'est encore en Angleterre que naîtra le genre Fantasy, avec Bilbo le Hobbit de J. R. R. Tolkien (1937).
Henry JamesL'écrivain anglo-américain Henry James n'a écrit qu'un petit nombre de textes fantastiques, mais leur originalité et leur perfection méritent une mention spéciale. Sa nouvelle la plus connue, Le Tour d'écrou, plonge le lecteur dans un abîme de perplexité, et ce avec une remarquable économie de moyens. Par la grâce de son style allusif, James amène le lecteur à douter de chacun des personnages tour à tour, de sorte que la vérité ultime sur cette histoire est impossible à établir.
Le fantastique américain A sa naissance au début du XIXe siècle, la littérature américaine est fortement marquée par le roman gothique anglais et le fantastique. C'est une littérature très sombre, marquée par la violence larvée du puritanisme de la Nouvelle-Angleterre.
Nathaniel Hawthorne, puis Washington Irving et surtout Edgar Allan Poe imposent aussi la nouvelle et le conte comme formes d'expression privilégiées. Poe joue aussi un rôle particulier en élaborant une théorie esthétique personnelle. Enfin, il fait aussi partie des pionniers de la science-fiction et du roman policier.
Tout en s'inspirant de cette tradition, H. P. Lovecraft lui donne un tour particulier, plus proche de l'horreur. Lovecraft inspirera de nombreux auteurs au XXe siècle, notamment Stephen King.
Le fantastique russe et d'Europe centrale Nicolas GogolC'est Alexandre Pouchkine qui introduisit le genre fantastique en Russie avec le célèbre conte la Dame de pique (1834). À partir de cette date le fantastique devint un genre de prédilection de la littérature russe, profitant de l'immense répertoire des contes et légendes populaires russes. Pendant les années de censure du régime de Staline, le fantastique servira également d'échappatoire aux écrivains refusant le réalisme socialiste.
Encouragé par Pouchkine, Nicolas Gogol publie à son tour des contes fantastiques dont les plus célèbres sont le Nez et le Journal d'un fou. Ces récits introduisent un changement de nature assez profond par rapport à la tradition fantastique. La peur y joue un rôle négligeable, en revanche l'absurde, voire l'humour, devient un élément essentiel. Ce style nouveau fera des émules en Russie même : Le Double, un des tous premiers récits de Dostoïevski, doit beaucoup à Gogol.
Mais c'est avec le tchèque Franz Kafka que ce fantastique grotesque et absurde prend toute son ampleur, et entre en résonance avec des préoccupations métaphysiques. On pourrait dire que si le fantastique d'Europe occidentale révèle la présence du Diable, le fantastique de Kafka révèle surtout le silence de Dieu.
Introduisons, après Kafka, son compatriote et contemporain (ils ont travaillé dans la même société) l'écrivain né à Prague, Leo Perutz, également Juif et de langue allemande. Perutz écrit des romans d'aventures en partie historiques, en partie fantastiques, qu'on peut aussi lire comme des fables philosophiques (Le Marquis de Bolibar).
C'est encore dans cette tradition qu'il faut inscrire les récits fantastiques humoristiques du polonais Witold Gombrowicz et du russe Mikhaïl Boulgakov, voire les pièces du dramaturge français d'origine roumaine Eugène Ionesco.
Mais l'Europe Centrale et la Russie comptent aussi des représentants du fantastique dans la tradition d'Hoffmann. Ainsi du tchèque Ladislav Klíma et du russe Alexeï Remizov.